Tunisie: Les islamistes plus que jamais en sursis

Fort de ses 37 % des voix obtenues aux élections du 23 octobre 2011 et du soutien de ses supplétifs d’une supposée gauche laïque, le mouvement islamiste a cru pouvoir s’approprier la Tunisie, en instillant dans la vie politique, économique et sociale – à doses régulières et bien calculées – son venin idéologique en vue de concrétiser son projet obscurantiste. Projet qu’il a pris garde de dissimuler tout au long de la campagne électorale, pendant laquelle il a tout simplement dupé les électeurs avec son programme en 365 points, qui s’est volatilisé, même de la toile, dans les premières semaines suivant l’accession au pouvoir du parti islamiste et de sa « troïka ».L’instabilité comme outil de pouvoir

Le pouvoir islamiste joue depuis à dénoncer publiquement – et à provoquer en douce ? – une instabilité qui sert bien ses intérêts puisqu’elle lui permet de camoufler ses malversations et de consolider ses tentatives de faire main basse sur les institutions de l’État et sur la vie sociale et politique.

Les responsables de ce parti sectaire, à la fois incompétents, sans aucun projet viable et crédible ni culture politique, ont en effet tout essayé pour concrétiser leur projet rétrograde une fois au pouvoir, en jouant sur l’instabilité du pays comme paramètre de renforcement de leur complot, décuplant du même coup cette instabilité devenue désormais endémique dans le pays et qui offre un écran habile à leur prévarication et autres manquements économiques et sociaux.

Après avoir tenté de faire passer, heureusement sans succès, le projet suspect d’une théocratie en Tunisie, ils ont voulu affaiblir le statut des femmes tunisiennes, provoquant une crise profonde dans les convictions sociales et morales des Tunisiens. Dans le même temps, ils continuent leurs malversations à tous les niveaux.

Alors que la population attend avec une impatience chaque jour croissante une feuille de route claire pour la transition démocratique, les responsables du parti islamiste et leurs sbires continuent les provocations qui tournent de facto aux incitations à la haine et la violence, générant ainsi une dangereuse instabilité et une aggravation des difficultés économiques, politiques et sociales dans le pays.

Mais cette situation de crise endémique leur permet d’asseoir leur hégémonie sur l’appareil de l’état et de prolonger sine die – du moins, le croient-ils – leur mandat déjà périmé, tout en taxant d’antirévolutionnaires qui veulent déstabiliser le pays ceux-là même qui désirent instaurer une véritable démocratie conforme aux temps modernes et aux aspirations populaires.

L’impatience irritée du peuple tunisien

À bout de patience, la population manifeste son insatisfaction et son rejet des responsables politiques pour l’absence de réalisations positives concrètes. Elle subit en retour une violence systématique, toujours sous le couvert de lutter contre l’instabilité dans les régions et ailleurs. Une réplique que personne ne croit plus. La mouvance, avec toutes ses composantes, se trouve désormais discréditée. Il ne lui reste que l’acte désespéré de recours aux milices pour terroriser quand et où bon lui semble.

Dans cette situation verrouillée, le peuple se trouve perdant sur toute la ligne. Sur le plan économique, par exemple, l’état actuel du pays n’offre ni la stabilité figée d’un régime dictatorial, ni la stabilité légitime que procure la démocratie. Dans un tel contexte, seuls sont servis les intérêts de la « troïka » dominée par les islamistes.

L’exaspération d’une population lassée de vivre dans l’incertitude et l’inquiétude s’amplifie. L’opposition au mouvement islamiste est plus forte que jamais, ce qui provoque la rage des islamistes et de leurs partenaires, dont l’échec se transforme en une frustration hostile et belliqueuse.

La violence sectaire comme gouvernance

Comme toute idéologie totalitaire, l’islamisme n’accepte ni la défaite ni la concurrence. Il n’accepte pas non plus la critique ni les alternances et, une fois acculé au mur, il opte automatiquement pour la violence. C’est ce qui est en train de se passer en Tunisie. Alors qu’il réalise que se révèle un échec total son projet d’engloutir dans un océan obscurantiste, et sous la houlette d’une internationale islamiste totalitaire, un pays riche de 3 000 ans d’histoire et de culture métissées, et que ses tactiques de manipulation des masses n’arrivent plus à convaincre, la mouvance islamiste semble se métamorphoser en une bête blessée et traquée: elle passe à l’attaque en recourant à une violence organisée et bien ciblée à l’instar de tout mouvement sectaire et totalitaire qui croit détenir une vérité absolue lui permettant d’imposer ses choix aux populations.

Ce qui est arrivé samedi 22 décembre 2012 à Djerba, sans constituer une première en son genre, traduit la panique qui s’empare des rangs islamistes et fait la démonstration de leurs véritables méthodes pour intimider, voire anéantir toute alternative menaçant leur survie. Non seulement le mouvement islamiste a perdu sa légitimité électorale, son mandat étant échu sans qu’il ait accompli la moindre réalisation positive, mais aussi perd-il aussi tout sens moral.

Les soubresauts de l’agonie

En effet, le fait de voir converger, de plusieurs régions du pays, des partisans survoltés, tels des hordes barbares assoiffées de sang, sous les ordres des milices du mouvement islamiste, afin d’agresser et de prendre en otages les militants et les responsables en meeting d’une formation politique reconnue mais concurrente – en l’occurrence Nidaa Tounes, qui semble gagner en popularité – sans même que l’État, dominé par les islamistes, ne réagisse à ces attaques graves, traduit une détermination à vouloir s’imposer par la violence et la terreur. Les otages doivent leur salut à l’intervention de l’armée nationale.

Cet épisode illustre l’affolement des islamistes et surtout les soubresauts de l’agonie d’un courant à la dérive car anachronique, illégitime, immoral et qui a démontré qu’il ne croit qu’en la violence comme mode de gouvernance politique et sociale. Le mouvement islamiste prouve une fois encore, dans les faits, qu’il est incompatible avec la démocratie. Ce dernier fait d’armes devrait suffire à réveiller de leur torpeur complice les autres membres de la troïka, à moins que l’exercice du pouvoir entraîne une cécité opportune.

Par Ali Guidara (Conseiller scientifique, chercheur en analyse de politique étrangère)

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