Quelle place pour les minorités en Tunisie post-révolutionnaire ?

En stipulant l’égalité et la non discrimination par les dispositions de l’article 21 de la constitution du 27 janvier 2014 qui prévoit que « les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination…En stipulant l’égalité et la non discrimination par les dispositions de l’article 21 de la constitution du 27 janvier 2014 qui prévoit que « les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination. L’Etat garantit aux citoyens et aux citoyennes les libertés et les droits individuels et collectifs. Il veille à leur assurer les conditions d’une vie digne. », la liberté de conscience par l’entremise de l’article 6 « l’Etat garantit la liberté de conscience et de croyance… » et conformément aux engagements internationaux ratifiés par la Tunisie en matière des droits et des libertés individuelles en tant que membre de l’ONU depuis 2 mars 1992 et adhérente de fait de la déclaration universelle des droits de l’Homme qui garantit la liberté de conscience dans son article 18 « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ;ce qui implique la liberté de changer de religion ou de conviction seule ou en commun tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. » L’Etat tunisien s’engage donc à garantir la liberté de conscience et l’éradication de toutes les formes de discrimination dans la jouissance ou l’exercice de ce droit.

En dépit de ces avancées significatives, des questions se posent pour l’heure quand aux minorités religieuses en Tunisie; tentant d’asseoir leur présence et d’affirmer leur légitimité à l’égard des autorités publiques, des meneurs religieux et de la population.

A cet effet, une interview a été menée auprès de Mme Ghayda Thabet, chargée de communication à l’Association Tunisienne de Soutien des Minorités « ATSM » qui nous éclaire notre lanterne sur la situation des minorités religieuses tunisiennes aujourd’hui.

1/ Comment se présente la situation des minorités religieuses aujourd’hui en Tunisie ?

Depuis la révolution de 2011, les minorités religieuses ont été la cible de divers actes de violences entre harcèlement policier, agressions verbales dans les milieux professionnels, des actes d’intimidation au quotidien et autres. L’association tunisienne de soutien des minorités se fait présente aux cotés de ces minorités marginalisées à cause de leurs croyances.

Les tunisiens juifs ont été victimes de plusieurs actes antisémites successifs, on peut mentionner une affaire dans laquelle l’ATSM a intervenu activement « L’affaire de la fermeture non justifiée d’un restaurant Touristique dont le propriétaire est parmi les fidèles de l’ATSM qui a eu recours à l’assistance de notre association en envoyant une vidéo dans laquelle il raconte les faits de ce dépassement injustifié ». Sans oublier l’affaire de « L’Imam de Rades, L’Association tunisienne de soutien aux minorités a, mercredi 19 décembre 2012, porté plainte pour incitation à la haine contre cet Imam dont un prêche appelant à un génocide divin des juifs avait été diffusé à la télévision en direct le 30 novembre ».

La situation devient parfois plus épineuse pour les tunisiens chrétiens (majoritairement convertis, laissant l’Islam). Les difficultés dues au choix de conversion empoissonnent leurs quotidiens. D’abord, les familles l’ignorent généralement car les concernés préfèrent garder ce changement pour eux. Mais, durant les fêtes religieuses les messes du dimanche etc.

C’est là où les choses commencent à attirer la curiosité des membres de la famille remarquant un rythme différent. Beaucoup d’entre eux soit ils sont rejetés par leurs familles, soit c’est un harcèlement psychologique acharné.

Le harcèlement policier est fréquent à l’entrée des églises qui se présente généralement sous forme de contrôle de papiers mais qui prend un tournant dangereux avec des questions malsaines « Quoi tu as laissé l’Islam ? Le prophète ne te plait pas ? » « Pourquoi tu choisis une religion où les gens adorent des statues et trois Dieux ? » « Est-ce ta famille est au courant ? Ils sont d’accord ? As-tu lu le Coran ? »

Notre association est consciente du contexte sécuritaire tendu, on soutient chaque autoritaire qui accomplit son devoir. Mais, on est contre l’abus de pouvoir qu’on dénonce.

2/Quelles sont les principales réformes constitutionnelles et législatives relatives aux minorités depuis la révolution tunisienne ?

Principalement, la constitution de 2014 qui consacre la liberté de conscience et la liberté religieuse.

6En bref, on peut résumer ceci dans le chapitre II « des droits et libertés » qui garantit un nombre considérables de droits.

L’ATSM dénonce et a mené un combat considérable contre l’injustice et l’aberration de l’article 74 de la constitution qui impose une discrimination sur la base de la religion « La candidature à la présidence de la République est un droit pour toute électrice et pour tout électeur jouissant de la nationalité tunisienne par la naissance, et étant de confession musulmane ».

L’ATSM lutte depuis 6 ans contre le déni et toutes les formes de Racisme en Tunisie via des Spots de sensibilisation, des conférences, des journées d’études, des manifestations Sit-In et les réseaux sociaux. Nous avons depuis longtemps soulevé la question du vide législatif.

Depuis fin 2015, une belle collaboration et coopération avec le Gouvernement spécialement avec Mr le Ministre Mahdi Ben Gharbia concernant l’adoption d’une loi contre la discrimination raciale qui passera bientôt sur le bureau de l’ARP.

3/ Dans un contexte postrévolutionnaire, comment jugez-vous les mesures de protection des minorités religieuses et les mesures de lutte contre leur discrimination ?

La Tunisie a gagné deux éléments fondamentaux pour une jeune démocratie :

· Une société civile solide et stable

· La liberté d’expression et de presse « Les médias ».

Concernant la problématique des minorités, la lutte est menée certes par la société civile en générale, et particulièrement l’ATSM qui est la seule association qui mentionne expressément le terme « minorités » ce qui peut paraitre simple mais rien que de mentionner le terme « minorité » ça nous a couté un combat rude avec diverses personnes.

La clé de voute de chaque combat c’est la communication, et qui dit communication dit visibilité dans les Médias.

En bref, la société civile et les médias collaborent efficacement ensemble afin d’atteindre les réformes.

4/ Vous en tant que minorité religieuse tunisienne, comment affrontez-vous le défi de vivre votre chrétienté en Tunisie ?

A vrai dire, cela peut paraître étrange mais la foi chrétienne s’est enracinée dans mon cœur depuis mon très jeune âge. Là on parle de l’âge de 5ans où ça a commencé par un intérêt incroyable pour les églises et Jésus que je ne connaissais pas à l’époque mais je le connaissais au plus profond de moi comme s’il m’accompagnait.

J’ai toujours cru aux droits de l’Homme et aux libertés individuelles. Je suis issue d’une famille politisée et d’activistes dans le domaine des droits de l’Homme, ce qui fait que j’ai grandi dans un environnement bâti sur les valeurs du respect, la diversité et la coexistence. Il fallait résister et affronter le monde pour bâtir ma personnalité et m’imposer malgré les difficultés. Malgré les insultes et plusieurs menaces reçues sur les réseaux sociaux (mes photos avec mon collier affichant le crucifix qui ont fait le tour des pages Facebook où ils m’insultaient de mécréante et Aposta).

Enfin pour être brève, j’ai choisi de le faire publiquement et sans le cacher car je ne fais de mal à personne, je ne touche pas la liberté d’autrui et surtout je ne trouble pas l’ordre public.

Je n’ai pas à me cacher je ne suis ni criminelle ni terroriste. Je suis une citoyenne tunisienne qui a des droits des libertés et des obligations. Comme mes compatriotes musulmans affichent leur religion dans l’espace public ce n’est pas parce qu’ils sont majoritaires que nous, minorités chrétiennes, devons vivre en cachette. Je ne cherche aucune confrontation bien au contraire je souhaite voir mon pays dans la paix où chaque citoyenne peut être ce qu’il est sans avoir à se cacher ou à avoir honte parce qu’il est différent.

5/ Pour finir, de quelle Tunisie rêvez-vous?

Chaque rêve doit être atteint et réalisé sinon il devient une illusion et non un rêve.

Je rêve qu’une Tunisie qui est fière de son histoire riche par l’apport du christianisme du judaïsme et de l’Islam. Je rêvé qu’une Tunisie où il y a une réelle égalité entre les citoyens, pas une égalité par la force mais une égalité basée sur la coexistence, le vivre ensemble et le respect mutuel.

Mme Ghayda Thabet a étayé cette interview par une vidéo illustrant la violation commise à l’encontre des minorités religieuses au nom du prosélytisme « Tabchir ».

Avant d’en finir avec ce sujet, je voudrais bien partager avec vous ce témoignage que j’ai recueilli auprès de Mme S.A :

« A propos, je me sens plus tunisienne que juive, même si théoriquement je fais partie d’une minorité. Mon rêve : une Tunisie multi plurielle avec une égalité entre les religions les races et les couleurs je pense que l’avenir de la Tunisie pourra s’améliorer grâce à ses enfants de confession juive ; je connais beaucoup de juifs qui rêvent d l’investir en Tunisie, or, le climat actuel n’est pas propice avec les slogans anti juifs lors des manifestations.

L’amour de la Tunisie coule dans mes veines, nous les juifs tunisiens, on nous a proposé lors de la soit disant « révolution » une maison et 30000 € on a refusé. On a choisi de RESTER !

Je me suis présentée aux dernières élections et je me présente pour ma municipalité ; tout simplement car je me sens trop concernée de mon pays.

Je suis une tunisienne a part entière, et le jour ou ma Tunisie reprendra son équilibre j’irais inciter les juifs tunisiens à venir investir ici »

En fait, ces deux témoignages ne sont pas contradictoires, d’ailleurs c’est tout le contraire ils peuvent même manifester le vrai visage de la Tunisie dans ses maintes particularités ethniques et religieuses et qui doit se refléter aux affaires de la vie quotidienne des tunisiens.

Compte tenu de tout ce qui précède, il est grand temps de développer un déployer en faveur de nos minorités tunisiennes, étant en positon de vulnérabilité, avec des efforts concrets en vue de :

-Passer en revue toutes les violations commises à l’encontre de ces derniers.

– Élargir le champ d’application de leurs droits et libertés consacrés et dans la nouvelle constitution et dans les engagements internationaux dûment ratifiés par la Tunisie dés lors.

– Prendre des mesures phares pour mettre un terme à ces pratiques discriminatoires injustifiables en Tunisie postrévolutionnaire.

– Instaurer dans nos écoles tunisiennes une politique d’enseignement et de formation fondée sur le pluralisme religieux et la diversité ethnique culturelle et sociale axée sur les droits fondamentaux et sur le respect de l’autre dans ses plus étroites appartenances.

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