La Faim de la Liberté

Tunis centre ville, voici les locaux de Nawaat, le journal en ligne qui a défié la censure et le régime policier tunisien pendant de nombreuses années.Dans ces locaux on retrouve un journaliste de terrain, véritable reporter d’investigation, même s’il se présente, modeste, comme un «journaliste citoyen»: une forte carrure, des yeux alertes, malgré la fatigue qui commence à se faire sentir, c’est Ramzi Bettaieb, un homme de trente six ans qui a déjà, dans le passé, payé lourdement pour ses convictions et son attachement à la liberté.

Ramzi a entamé une grève de la faim le 28 mai, il y a dix jours pour protester contre la confiscation de ses caméras et l’obstruction faite à son travail de journaliste par la police militaire alors qu’il tentait de couvrir le procès dit «des martyrs de la révolution». Ce procès se tient dans le tribunal militaire du Kef, région du nord ouest de la Tunisie, une juridiction militaire à qui a été délégué la charge de juger les responsables des morts et des blessés survenus durant les évènements ayant secoué le pays entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011.

Ce procès est l’un des dossiers judiciaires et politiques les plus brulants de l’après 14 janvier. Car il place sur le banc des accusés l’ancien président en exil Ben Ali et vingt deux des responsables politiques et sécuritaires du régime censément ancien. Son objectif est de mettre au clair les évènements qui ont mené à la mort de trois cents trente huit tunisiens et à la mutilation de deux mille cent quarante sept autres tunisiens. Les familles des morts, les blessés dont certains ont encore des balles dans leur corps, le peuple tunisien dans son entier réclame que la justice soit faite quant aux ordres qui ont amené des tunisiens à tirer sur d’autres tunisiens dans le but de les tuer.

Il s’agit d’un procès historique pour la Tunisie et la nécessité qu’il soit filmé et médiatisé est primordiale pour l’avenir du processus politique en cours. Refuser les caméras et les journalistes dans cette cours revient à vouloir revenir en arrière, à vouloir maintenir les anciennes pratiques politiques, à vouloir empêcher que l’opacité ne disparaisse enfin de Tunisie. Au-delà de la question des caméras, voilà bien l’origine cette grève de la faim.

La question centrale de cette action est l’accès du public à l’information, le droit du peuple à savoir, n’est-ce pas là l’essence même du journalisme et de la liberté de l’information. Car la liberté de la presse n’est pas qu’un mot ou une expression, c’est une pratique quotidienne de la cité, c’est l’oxygène de la vie publique. Sans une réelle liberté d’informer et son corollaire la liberté d’enquêter, la vie publique d’un pays est destinée à n’être qu’un conduit d’évacuation où s’écoulent les pires des immondices dans le plus grand des secrets. Les tunisiens ont vécu cela pendant plus de vingt cinq ans, la grève de la faim de Ramzi qui commence à être suivi par des figures emblématiques de la jeunesse contestataire tunisienne (Houssem Hajlaoui, Yassine Ayari, Azyz Ammami, Leena Ben Mheni, Emine Mtiraoui) est le signe qu’ils en ont assez et qu’ils ne sont pas prêt à laisser les choses redevenir doucereusement ainsi qu’elles étaient.

Le problème étant posée, il faut y apporter une solution et rapidement. La solution est simple, très simple. Compte tenu des différents codes législatifs en vigueur en Tunisie aujourd’hui, la solution légale la plus évidente serait que le président du tribunal militaire du Kef, ou le ministre de la Défense tunisien, monsieur Abdelkarim Zbidi accepte d’ouvrir les portes de la cours aux médias et aux journalistes tunisiens afin qu’ils couvrent ce procès historique pour la Tunisie.

Car, aussi étrange que cela paraisse, ce qui empêche la publicité des procès est un article du nouveau code de la presse promulgué en novembre 2011. Cet article avait d’ailleurs été pointé du doigt par Reporter Sans Frontière pour ce qu’il pouvait avoir de problématique dans les cas de procès importants et symboliques. Force est de constater que l’analyse était juste.

Cette action désespérée de la part de ces activistes et militants doit être considéré par le gouvernement récemment élu comme une chance de montrer les preuves de son engagement à respecter les libertés, comme une possibilité de démontrer qu’il est conscient de sa responsabilité devant l’histoire à remettre de l’ordre en Tunisie, comme une opportunité pour rappeler que la justice est bien le troisième des socles de cette nation.

Par Shiran Ben Abderrazak

Quitter la version mobile