Conditions pour le bon exercice de la liberté d’expression

Conditions pour le bon exercice de la liberté d’expression…

Voici une logique très simple:

* Ben Ali est le chef du RCD.

* Il a déclaré la guerre aux religieux et a chassé les plus extrémistes.

* Il est par conséquent anti religieux.

> Donc tous ceux qui critiquent l’application de l’islam dans l’état sont des propagandistes Rcdistes.

Ce genre d’analyse réductionniste consiste en une sorte de simplification de la réalité, phénomène courant de nos jours en Tunisie tant dans la rue que sur les colonnes de nos médias « libres ».

L’être humain a une tendance naturelle à faire des liens simplistes et arbitraires. Ceci permet surtout d’opérer une certaine forme d’économie d’énergie mentale ou cognitive.

Et oui, nous sommes tous fainéants et préférons que tout soit bien lié, bien catégorisé, selon nos propres opinions et points de vue sans prendre en considération la totalité des variables autour de nous.

Indépendamment de tout contexte, chaque individu possède sa propre façon de voir les choses, sa propre ligne de conduite. Des événements complexes à appréhender comme la libération des peuples arabes et cette espèce de prise de conscience collective que vit l’occident (les mouvements d’indignation partout dans le monde: occupy the world),sont une source inépuisable de suppositions, de projections, de fantasmes…

A chacun son interprétation des bouleversements que vit le monde actuellement, chacun va mettre en place sa vision des choses afin d’expliquer ce qui se passe autour de lui, surtout dans un contexte marqué par la nouveauté et l’incertitude. Le départ d’un dictateur et l’ébranlement de son système ont généré une multitude d’interprétations aussi arbitraires que farfelues.

Une de ces visions consiste à croire que ce qui arrive aujourd’hui en Tunisie et dans le reste du monde est une première victoire de l’Islam, qui va bientôt unir tous les pays en une seule entité et finira par triompher.

Les pays qui se débarrassent de leurs dictateurs vont forcément devenir des états islamiques et vont s’allier entre eux pour entamer une nouvelle ère de Foutouhat islameyya.

Une autre considère la révolution Tunisienne comme phénomène salutaire pour l’économie du pays: certains acquis tels que les droits de la femme et le droit à l’éducation pour tous, doivent être sauvegardés voir même « optimisés». Si nous nous positionnons donc sur un axe progressiste, nous allons nous hisser ainsi au niveau des pays les plus économiquement stables.

Ben Ali avait la main mise sur les richesses du pays, maintenant qu’il est parti nous récupérons tout pour nous, le peuple tunisien.

Une 3ème lecture des choses, suppose que le Rcd soit encore là. Fameux parti du dictateur déchu, l’ancien parti-état n’est pas facile à démanteler et ses ramifications sont innombrables et fort solides. Ceci permet à un grand nombre d’analystes d’accuser ces néo destouriens. Leurs doutes sont confirmés par la victoire de « al aridha » (pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement) dont le leader est pour le moins que l’on puisse dire, « suspect »…

Ben Ali est parti mais le système est toujours là et ses anciens hommes de main continuent de travailler d’arrache pied, toujours derrière le rideau, afin d’instaurer une nouvelle forme de dictature.

Que l’on soit partisan d’une de ses interprétations, ou si l’on possède sa propre façon de voir les choses, il reste néanmoins important de respecter tous les avis autour de nous. On parle ici de la pierre angulaire de la démocratie:

« Mon avis n’est pas forcément le plus précis ni le plus fiable mais il est à prendre en considération comme moi je le fais si bien avec les avis des autres ».

Aujourd’hui, chaque article publié en ligne est suivi d’une myriade de commentaires désobligeants bloquant immédiatement le développement du dialogue.

Quand allons nous comprendre qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais avis ? Un avis alternatif n’est pas un avis « faux », il est juste « différent »…DU NOTRE !

La possibilité de poster des commentaires est une grande opportunité de manifester son avis et d’exprimer librement son point de vue, sous couvert d’anonymat. Soit nous n’avons pas compris la réelle fonction de cette option, soit le trollage est une véritable vocation nationale !

Quand on se retrouve confrontés à des sujets ou des thématiques importés d’Europe comme la question de l’identité, les termes utilisés par les uns comme pour les autres sont chargés d’agressivité et d’amertume. Alors qu’auparavant, il n’y a jamais eu polémique concernant cette question.

Qu’il s’agisse d’un article louant les mérites d’ennahdha, ou d’un papier traitant de laïcité, ce ne sont que des idées qui nous sont exposées. Des idées n’impliquant que leurs auteurs. Les considérer comme une attaque personnelle, les interpréter subjectivement, se situer aux extrêmes (se poser en tant que moralisateur ou narguer la religion) sont autant de signes d’immaturité et d’irrespect envers des auteurs, qui nous ont rien demandé.

De plus, le pays fait face à des problèmes urgents, qui nécessitent des mesures immédiates:La réforme de l’éducation en général et de l’enseignement supérieur en particulier, la réduction du chômage et la focalisation sur la question de des diplômés sans travail, l’assainissement de nos institutions ainsi que de notre administration boiteuse, purifier le ministère de l’intérieur, la mise en place d’une justice indépendante, les zones du centre et du sud qui sont laissées pour compte depuis des années, la corruption qui gangrène à tous le niveaux, notre tourisme qui agonise tout comme les blessés de la révolution…Pendant ce temps, nos partis élus se disputent les postes et se distribuent le pouvoir depuis le 23 Octobre, au point de se permettre de laisser le pays entier dans l’expectative…Quant à nos médias, on préfère plutôt parler salafistes, niqab, mini jupe, langue française qui détériore notre langue maternelle, police des bonnes mœurs ou comité de répression du vice, politique extérieure de la Tunisie, Qatar, Arabie Saoudite, procès de Ben Ali…Qui parmi ceux présents le 14 Janvier devant les locaux du ministère de l’intérieur, avait pensé un seul instant à de tels sujets ?

L’apprentissage de la démocratie en Tunisie se fait donc par tâtonnements, les erreurs sont tolérées du moment que l’on reconnaisse par la suite que ce sont « des erreurs ».

C’est très important de savoir manier la liberté d’expression autrement cela ne va faire qu’envenimer les relations entre ceux qui ne partagent pas les mêmes avis, en plus de faire dévier l’attention des vrais problèmes du moment.. Sur le long terme, la mauvaise utilisation de la démocratie peut créer une tension inutile, totalement contreproductive dans un processus de démocratisation d’un pays nouvellement libéré.

Mehdi M’ribah

@m3hdiM

Quitter la version mobile